Dali Serge LIDA
Maitre de Conférences en sociologie économique
Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan (Côte d’Ivoire)
Chercheur-Associé UMR Innovation, CIRAD/Montpellier (France)
Un examen transversal du fonctionnement des économies des pays en développement montre, de façon globale, un déséquilibre entre les secteurs dits formel et informel. Un déséquilibre dans lequel le secteur dit informel l’emporterait sur le secteur dit formel, aussi bien statistiquement/démographiquement que politiquement. Dans la plupart de ces pays, en effet, le secteur informel concentre plus de la moitié (50,5%) des emplois non agricoles (BIT, 2018) et constitue par ricochet une éponge à emplois. De même que politiquement, ce secteur cristallise l’ensemble des programmes et actions publiques visant à restructurer l’économie, en termes de création d’emplois, de mobilisation de l’épargne ainsi que d’ajustement de la fiscalité (Charmes J, 2003 ; Gaufryau, B. et Maldonado C, 2013).
La situation de la Côte d’Ivoire porte ces mêmes caractéristiques. On y retrouve ainsi 94% (ENSESI 2016)[1] des emplois dans le secteur informel ; de même que de nombreux discours, programmes et politiques lui sont consacrés. Il s’agit de politiques de financement, de formation et d’adaptation de la fiscalité et autres procédures administratives
Cette centralité du secteur informel dans l’économie des pays en développement est également caractérisée par l’ampleur des études qui y font référence. Dans cet ordre, on note également, en Côte d’Ivoire, une variété d’études ayant pour objet le secteur informel (Lachaud J. P, 1976 ; Akindès F, 1990; N’guessan B. 1999 ; Loukou, 2003 ; Combarnous et Labazée, 2002 ; Lognon J.L, 2010 ; 2017 ; Gaufryau et Maldonado, 2013, Lida D. S., 2014, Traoré, 2016).
Par ailleurs, le secteur informel en Côte d’Ivoire de par son histoire, sa dynamique, ses acteurs et la nature de leurs interactions présente des particularités. Son histoire, sa dynamique, son rapport à l’État sont liées aux différentes conjonctures économiques et à l’immigration. Du point des vue des relations, le fonctionnement du secteur informel en Côte d’Ivoire est caractérisé par la construction de monopoles et des stratégies de ruptures ou de contournement des barrières multiformes à l’entrée (Yao Gnabéli, 2010 ; Lida D. S., 2015 ; Lognon J. L, 2017 ; Lautier B, 2004.
Ce numéro des Cahiers de sociologie économique et culturelle regroupe les résultats d’un ensemble de travaux de sociologie et d’anthropologie économique réalisés dans le cadre du laboratoire de Sociologie Economique et d’Anthropologie des Appartenances Symboliques de l’Université Félix Houphouët-Boigny. Ces travaux se rapportent, d’une part, aux idées reçues en lien avec le fonctionnement du secteur informel en Côte d’Ivoire, en tant qu’espace social et en tant que forme d’expression de l’économie en lien étroit avec le secteur formel ; d’autre part, à des travaux qui examinent le rapport entre économie formelle et économie informelle, en termes de concurrence et ce que cela engendre comme stratégies et ressources sociales en vue de contrôler l’espace. On y retrouve, en outre, des travaux qui analysent le mode de recrutement le plus partagé entre entreprises du secteur formel et du secteur informel, en l’occurrence, le recrutement de la main-d’œuvre familiale, en termes de logiques et d’enjeux sociaux. Enfin, ce numéro s’intéresse à la manière dont les trajectoires d’insertion professionnelle de jeunes formés à l’agriculture contribuent au maintien de l’activité agricole dans l’informalité, en dépit de politiques et d’actions visant à professionnaliser et/ou à formaliser le secteur agricole.
Ce sont donc au total 4 textes regroupés autour des trois thématiques :
- Des idées reçues au fonctionnement concret de l’économie informelle en Côte d’Ivoire et
- de la concurrence entre l’économie informelle et l’économie formelle : étude de cas dans le secteur de la loterie en Côte d’Ivoire, pour ce qui concerne la mise en relation analytique entre les idées reçues (imaginaires sociaux et positionnements politiques) sur le secteur informel et son fonctionnement concret; la concurrence entre l’économie informelle et l’économie formelle pour le contrôle d’une niche économique (la loterie et les jeux de hasard).
- Logiques sociales et enjeux de l’utilisation de la main d’œuvre familiale dans les PME et les Microentreprises du secteur informel en Côte d’Ivoire, pour ce qui concerne la thématique relative au recrutement de la main-d’œuvre familiale, en termes de logiques et d’enjeux sociaux, aussi bien dans le secteur formel que dans le secteur informel. Et enfin
- Imaginaires et pratiques sociales d’insertion des jeunes dans l’activité agricole en Côte d’Ivoire : Étude de cas, qui illustre la manière dont les trajectoires d’insertion professionnelle de jeunes formés à l’agriculture contribuent au maintien de l’activité agricole dans l’informalité.
Note
[1] Rapport de l’Enquête Nationale sur la situation de l’emploi et du secteur informel 2016
Bibliographie
AKINDES F. (1990). Urbanisation et développement du secteur informel alimentaire : l’exemple d’Abidjan, Thèse de doctorat nouveau régime EHESS, Paris.
BIT. (2018). « Women and Men in the informal Economy: a Statistical Picture », Genève.
CHARMES J. (1992 Le secteur informel, nouvel enjeu des politiques de développement ? In: L’Homme et la société, N. 105-106, 1992. Vers quel désordre mondial ? pp. 63-77.
COMBARNOUS F., LABAZEE P. (2002). « Entreprises et emploi en Côte d’Ivoire, » Série de recherche 05, Groupe d’Economie du Développement de l’Université Montesquieu Bordeaux IV.
DOI : https://doi.org/10.3406/homso.1992.2664
DOI : https://doi.org/10.3406/netco.2003.1577
GAUFRYAU B., Maldonado C. (2013). « Secteur informel : fonctions macro-économiques et politiques gouvernementales : le cas de la côte d’ivoire », Document de recherche S-INF-1-13.
LACHAUD J.P. (1976). Contribution à l’étude du secteur informel en Côte d’Ivoire : le cas du secteur de l’habillement, Bordeaux, thèse de troisième cycle, Université Bordeaux 1.
LIDA D.S. (2014). Logiques d’insertion et de maintien de jeunes nationaux dans les activités économiques monopolisées par des groupes d’immigrés. Etude de cas en Côte d’Ivoire, Revue Sociétés & Economies, Revue du Laboratoire de Sociologie Economique et d’Anthropologie des Appartenances Symboliques, pp 6-19.
LIDA D.S. (2015). De la subversion à la monopolisation : analyse sociologique d’une tentative d’inversion du monopole dans l’activité de charretier à Bonoua (Côte d’Ivoire), Les Annales de l’Université de Lomé, Série Lettres et Sciences Humaines, Tome XXXV-1, Juin 2015, pp 61-73.
LOGNON J-L. (2010). Idéologies et pratiques d’appui du secteur informel en Côte d’Ivoire,Thèse de doctorat de Sociologie, Université de Cocody, Abidjan.
LOUKOU A. F. (2003). Économie informelle et télécommunications en Côte d’Ivoire : le cas des cabines téléphoniques privées. In: NETCOM : Réseaux, communication et territoires / Networks and Communication Studies, vol. 17 n°1-2, august 2003. pp. 99-112.
N’GUESSAN M.B. (1999). Comprendre l’économie informelle en Côte d’ivoire : Etude de cas à travers les « maquis », à Abidjan. Thèse pour le doctorat
TRAORÉ N. (2016). « Les déterminants de la disposition des managers à formaliser les PME informelles en Côte d’Ivoire », Études caribéennes [En ligne], 35 | Décembre 2016, mis en ligne le 16 décembre 2016, consulté le 12 novembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/10358 ; DOI : https://doi.org/10.4000/etudescaribeennes.10358
www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1992_num_105_3_2664
www.persee.fr/doc/netco_0987-6014_2003_num_17_1_1577